Témoignage de Dénis VIENOT
De retour au bureau ce jour, c’est avec une profonde tristesse que j’apprends le décès de Mgr Agboka. J’en suis profondément navré et chagriné, ainsi - je l’imagine - que tous les membres de Caritas Bénin, notamment tous ceux qui ont eu à travailler avec lui pendant toutes ces années. C’est non seulement une grande figure de Caritas Bénin qui disparaît, mais aussi une grande figure béninoise. Mgr Agboka a été le tisseur fervent des liens entre Caritas Bénin et Caritas France, avec aussi Melle Nicole Rivet disparue en ce début d’année.
Je formule que des deux côtés les nouvelles générations sauront se montrer à la hauteur de leurs aînés et qu’ils s’attacheront à développer et faire prospérer leur héritage.
Je vous saurai gré de transmettre à tous mes sincères condoléances attristées et ma fraternelle union de prière.
Denis VIENOT
Témoignage de Vincent SIBOUT
C'est avec grande émotion que j'apprends le décès de Mgr. Lucien Monsi Agboka.
J'avais été un modeste collaborateur, du temps de mon volontariat (juin 1976 - juin 1978), alors affecté au Centre rural de Pira. Ce village et sa population qui lui tenaentt tellement à coeur.
Puis, à différentes reprises, j'avais eu à le revoir : deux fois venant en vacances (dont une quand je travaillais à Caritas Mauritanie) puis lors de missions (toujours trop rapides) en tant que 'chargé de projets' au Secours Catholique (1990 - 2005).
La dernière fois, c'était dans sa maison de retraite, non loin de l'océan, maison qu'il avait voulu grande pour accueillir et accueillir encore.
Je peux dire que si je suis encore engagé dans la dynamique "développement" au sein de l'Eglise - Caritas, c'est en grande partie grâce à lui. Il m'a beaucoup aidé à devenir homme.
Que de souvenirs !
Force de la nature, il était infatigable, surtout hors de son évêché. Son chauffeur Anatole ne doit pas savoir combien de km parcourus, sans doute l'équivalent de dizaines de tours de la terre, de jour comme de nuit, en saison sèche comme en saison des pluies, le plus souvent sur des pistes (devenues progressivement goudron). Y compris une fois où j'avais du me serrer à ses côtés, avec un pare-brise cassé. Je m'en souviendrais toujours ! Sans oublier les passages obligés en pirogue pour surmonter les crues de l'Ouémé, du côté de Sagon, Zanïanado, ..
Son diocèse était bien vaste mais il n'y avait sans doute aucune localité même la plus reculée qu'il ne connaissait pas.
Combien aura-t-il usé de soutanes à marcher ici ou là, à monter et à descendre, ... ?
S'il y avait eu un classement de la popularité, très certainement aurait-il tenu la tête pendant des années et des années, notamment à une période où le régime était plutôt 'musclé' et rigide, une période où tout le monde devait être appelé 'camarade'.
Hommes de chantiers. Au sens propre comme au ses figuré.
Homme de convictions.
Son combat pour la promotion du statut des filles, des jeunes filles, des femmes, a été prophétique et inlassable. Malgré le contexte et toutes les contraintes sociologiques et sociales. Cela ne plaisait pas à tout le monde, il a été critiqué, raillé, ... mais il a continué sans fin.
Ouvrir des formations de mécanique, de chaudronnerie, de réparation de machines à coudre, coiffure hommes, à des jeunes, quelle audace, quelle révolution !
Ah ce mot de "libération" ! Dans ces années là, dans le contexte du Zou, cela voulait dire beaucoup, beaucoup de choses.
Des milliers de femmes ont très certainement eu la vie transformée grâce à lui, qu'elles soient restées paysannes ou bien devenues hauts fonctionnaires ou ministres.
Conviction aussi de participer à la construction du pays par un brassage à la fois social et géographique. Cela s'est traduit par ces fameux internats et ces camps de jeunes. Cela coûtait relativement cher, c'est vrai et beaucoup de partenaires ont 'fermé le robinet' mais c'était sans aucun doute en ne calculant pas le vrai impact humain qui ne se mesure pas en CFA.
Il savait aussi que le 'développement' est un long processus et qu'il faut aussi retrouver un certain équilibre. D'où son souci, aussi, de faciliter à des jeunes hommes des formations en tous genres.
Il savait que la formation technique, aussi poussée soit-elle, ne peut être solution à tout. Combien de fois l'ai-je entendu plaider "formation humaine" (alphabétisation, chant, instruction civique, ...) ?
Petite anecdote significative : arrivé en République Populaire du Bénin, avant l'aube d'un dimanche de Pentecôte, après avoir pris le train jusqu'à Bohicon puis le taxi jusqu'à Abomey, après avoir quelque peu erré, on a fini par me dire "Monseigneur n'est pas là. Il est à un match de football. On ne sait pas quand il reviendra". J'avoue que su le coup j'avais trouvé cela très étrange. C'est petit à petit que j'ai compris que la Bonne Nouvelle doit se vivre et se rayonner en tous lieux.
Aidé par le contexte politique de l'époque, l'auto-prise en charge était aussi un souci permanent afin de grandir dans la dignité et de ne demander des aides financières extérieures que de façon complémentaire. Là aussi, la ferme d'Agbon et son système d'entretien par des équipes renouvelées, venant des quatre coins du diocèse, était vraiment unique et pédagogique, même si sur le plan de la rentabilité, du fait du trop bas coût des produits agricoles, ce n'était pas forcément 'juteux'.
Homme de grande simplicité. Son modeste pick-up 404, son plus que modeste ancien évêché, ...
Lui qui avait été un temps, outre ses charges diocésaines et nationales, président de la Région Afrique et donc vice-président de Caritas Internationalis.
Homme de Dieu, bien sûr et surtout.
Avec courage, du temps de la 'révolution'. Avec respect, car si ses prises de paroles, au cours de célébrations eucharistiques ou profanes, étaient claires et percutantes, il laissait à ses diocésains, ses compatriotes, ses interlocuteurs, le libre choix. Homme libre, il voulait les hommes libres !
Pour lui, tout devait être mené de front. Pas de développement économique sans développement spirituel. Et réciproquement.
La grotte de Dassa, sur son diocèse avant que Dassa soit à son tour érigé en diocèse, était l'occasion de temps communautaires et forts. sans tomber dans des pratiques dévotes et déresponsabilisantes.
Les racines culturelles étaient aussi très importantes pour, tant au niveau religieux qu'humain. Le sillon noir, le hanyé, la pharmacopée locale, ....
Bien sûr, tout n'était pas très cartésien ! Il était quelque peu fâché avec l'administration et le secrétariat, avec la précision des comptes, avec l'exactitude, parfois un peu renfrogné, ....
Mais tellement bon, tellement debout, tellement africain, tellement ami de tous les hommes, spécialement les plus petits, les 'sans'.
De tout cela, j'en avais parlé encore il y a moins d'un an avec Melle Nicole Rivet, du Secours Catholique, qui avait été le trait d'union entre nous d'eux puisque c'est elle qui m'avait guidé avant mon départ pour Pira, qui avait beaucoup plaidé pour que le Secours Catholique vote chaque année d'importantes subventions pour les projets initiés par l'ex abbé Agboka, qu'elle avait accueilli précédemment comme stagiaire.
Elle aussi nous a quittés il y a peu, pour renaître, pour goûter repos et joie, auprès du Très Haut.
Que la terre lui soit légère.
Et que le Seigneur qu'il aimait tant l'accueille dans son Amour infini, avec miséricorde.
Soeur Léonie, Chers amis de Caritas Bénin, je suis en union de prière avec vous et avec toute l'Eglise du Bénin, avec le Bénin entier.
Très certainement, "de là haut", Mgr Agboka nous dit "Continuez la lutte, continuez à construire l'Eglise, continuez à vouloir un monde meilleur, un monde solidaire".
Toute mon amitié.
Vincent SIBOUT